« Il faut arrêter ces dérives insensées, » tonne Pascal Marchal, Directeur Développement de la Savonnerie de l’Atlantique et Président de l’Association Savon de Marseille France (ASDMF), une organisation récemment créée pour s’opposer à une éventuelle indication géographique pour le savon de Marseille. « Le savon de Marseille a toujours été une appellation générique faisant référence à un procédé de fabrication et non à une zone de production, » argumente-t-il. C’est ainsi que l’on fabriquait du savon de Marseille à Nantes dès le 19e siècle.
Et à cette époque déjà, ainsi qu’en témoigne une abondante jurisprudence, on note des tentatives visant à limiter l’appellation savon de Marseille à une zone géographique déterminée. Sans succès. En 2003, l’Association des industries de la détergence, de l’entretien, et des produits d’hygiène industrielle (AFISE) avait pensé régler la question en faisant valider par la DGCCRF un code définissant le savon de Marseille comme un procédé de fabrication, sans aucune référence territoriale, permettant de garantir une qualité donnée : utilisation d’huiles nobles et de faibles quantités d’acides, fabrication en quatre étapes (empattage et cuisson, relargage ou décantation de la glycérine, lavage du savon puis liquidation).
Mais le dépôt auprès de l’INPI [1], le 16 juin 2015, par l’Association des fabricants de savons de Marseille (AFSM) [2] d’une demande d’homologation d’une IGPIA Savon de Marseille a ravivé les hostilités. Cette première demande entendait limiter la zone de production à certains départements et cantons du sud-est de la France : Alpes-de-Haute-Provence, Bouches-du-Rhône, Var, canton de Nyons et Baronnies (Drôme). Elle a été très vite suivie par une demande, encore plus restrictive, de l’Union des professionnels du Savon de Marseille (UPSM) [3] souhaitant de son côté restreindre la zone géographique reconnue au seul département des Bouches-du-Rhône.
Ces demandes - qui opposent deux groupes de producteurs du sud-est - ont suscité la réaction des nombreux autres savonniers du reste du territoire français qui ont décidé de se regrouper au sein d’une troisième association, l’ASDMF [4], bien décidés à ce que l’appellation reste déconnectée de toute notion territoriale, et qu’elle continue de faire référence à un procédé de fabrication et à un savoir-faire.
Créées par la loi Hamon de 2014 [5] relative à la consommation, les IGPIA concernent les produits artisanaux ou industriels, qui ne peuvent bénéficier des indications d’origine réservées aux produits agro-alimentaires. Mais, on le voit, une telle extension ne va pas sans poser de multiples problèmes. S’il paraît évident que la zone de production confère des qualités spécifiques à un vin, un fromage ou une huître, c’est plus discutable pour un produit industriel dont le savoir-faire aussi bien que les matières premières sont en grande partie déconnectés de toute base géographique.
Pour les membres de l’ASDMF, qui affirment représenter 95% de la production française de savons, l’homologation de l’une ou de l’autre des demandes d’IGPIA aurait des conséquences économiques désastreuses. À l’heure où les savons solides de qualité connaissent un regain d’intérêt de la part des consommateurs, ils estiment que ce serait mettre en péril l’offre française.
« Au fil de son histoire, le savon de Marseille s’est modernisé, grâce à notre attention constante, pour offrir un produit de première nécessité, utile et qualitatif à la fois. Il ne peut donc être envisageable de menacer sa viabilité ou d’en faire un produit de luxe, d’autant plus que c’est le parfait exemple du produit d’hygiène qui a révolutionné la santé humaine au début du 19e siècle, » réaffirme Pascal Marchal.
Les demandes d’IGPIA sont aujourd’hui entre les mains de l’INPI qui a instruit les dossiers et entendu les différentes parties. À ce jour, seules trois indications ont été homologuées : le « Siège de Liffol », une appellation qui protège le savoir-faire des fabricants de meubles du bassin de Liffol-le-Grand, entre Vosges, Meuse et Haute-Marne, le « Granit de Bretagne », première pierre à être ainsi protégée, et la « porcelaine de Limoges ». Dans ces trois cas, les industriels étaient unis autour du projet.
Quelle qu’elle soit, la décision de l’INPI concernant le savon de Marseille fera des mécontents. Ceux-ci pourront alors la contester devant la cour d’appel compétente… territorialement.