L’ANSM demande à ce que tous les produits cosmétiques non-rincés contenant du phénoxyéthanol soient étiquetés avec la mention « ne pas utiliser sur le siège des enfants de moins de trois ans » [1]. Les entreprises qui mettent ces produits sur le marché ont un délai neuf mois (soit jusqu’au 20 décembre 2019) pour appliquer cette mesure qui concerne tous les produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol, à l’exception des déodorants, des produits de coiffage et des produits de maquillage. En pratique, le texte vise tout particulièrement les lingettes utilisées pour nettoyer les fesses des bébés.

Le phénoxyéthanol (ou phénoxy-2-éthanol) est un agent conservateur de la famille des éthers de glycol couramment utilisé par l’industrie des cosmétiques. La réglementation européenne [2] impose que sa concentration dans les cosmétiques soit limitée à 1% de la formule.

Avis contradictoires

Soupçonné d’effets toxiques pour la reproduction, le phénoxyéthanol est depuis plusieurs années dans le collimateur de l’agence française. Par mesure de précaution, l’ANSM recommandait dès 2012 que ce conservateur ne soit pas utilisé dans les produits cosmétiques destinés au siège des bébés et que sa teneur maximale soit fixée à 0,4 % pour les autres produits destinés aux enfants de moins de 3 ans. Par la suite, le Comité Scientifique Européen pour la Sécurité des Consommateurs (SCCS) a considéré, dans son avis d’octobre 2016 [3], que le phénoxyéthanol utilisé à 1 % dans les produits cosmétiques est sûr pour la santé, quel que soit le groupe d’âge.

Dans sa décision prise « à titre conservatoire, afin de garantir la sécurité d’emploi des produits cosmétiques destinés aux enfants », l’ANSM explique se baser sur de « nouvelles données scientifiques concernant l’exposition au phénoxyéthanol ». Après la publication de l’opinion du comité scientifique européen, l’ANSM a en effet souhaité poursuivre ses investigations et a constitué en 2017 un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) composé d’experts en toxicologie, épidémiologie, expologie, dermatologie et allergologie ayant pour mission d’évaluer l’opportunité de maintenir ses recommandations de 2012. Ces experts ont conclu que «  la recommandation de 2012 pour la non utilisation du phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques destinés au siège doit être maintenue. » Ces mêmes experts ont également jugé souhaitable d’élargir cette recommandation à l’ensemble des lingettes nettoyantes, même celles destinées aux adultes, dans la mesure où elles sont fréquemment utilisées pour nettoyer le siège des jeunes enfants. « Dans tous les autres produits cosmétiques destinés aux enfants de 3 ans ou moins, la concentration maximale de phénoxyéthanol pourrait rester à 1 % ».

L’ANSM s’oppose donc frontalement au point de vue européen. Dans pareille situation, l’article 27 du Règlement européen sur les cosmétiques [4] prévoit que l’agence devra communiquer à la Commission et aux autorités compétentes des autres États membres tous les éléments sur lesquels elle fonde sa décision de manière à déterminer dès que possible si cette mesure provisoire est justifiée ou non.

Bataille juridique

COSMED et la FEBEA, les associations professionnelles défendant les intérêts des industriels français des cosmétiques, ont déjà fait part de leur intention d’utiliser les différentes voies de recours à leur disposition pour faire réexaminer la validité de la décision de l’ANSM. La FEBEA annonce notamment son intention de déférer cette décision devant le Conseil d’État pour obtenir sa suspension puis son annulation. Elle a également demandé à Cosmetics Europe, le lobby bruxellois de l’industrie des cosmétiques, de saisir immédiatement la Commission européenne.

À l’aube de cette bataille juridique, deux scénarios sont donc à envisager :

- Soit la mesure provisoire décidée par les autorités sanitaires françaises est jugée injustifiée par les autorités européennes, dans ce cas la Commission en informera les États membres et l’ANSM devra abroger son texte sans délai ;
- Soit la mesure provisoire française est jugée justifiée (probablement après un nouvel avis du SCCS) et la réglementation européenne devra alors être modifiée.

Quelle que soit l’issue de la procédure, le phénoxyéthanol apparaît une nouvelle fois sur la sellette. À l’heure où se multiplient les applis d’évaluation des produits cosmétiques, où la méfiance vis-à-vis de la sécurité des cosmétiques a entrainé un mouvement de déconsommation sans précédentauxquel seuls les cosmétiques naturels et bio semblent échapper, gageons que les jours de cette substance sont comptés, quand bien même elle présente un intérêt certain pour les formulateurs.